mardi 6 février 2007

Le jour d'après

Editorial
Par Renaud DELY
Libération : vendredi 2 février 2007

L'interdiction de fumer dans les lieux publics est une formidable décision synonyme de grand bond en avant pour l'art de vivre à la française. Après le covoiturage, découvert à l'occasion des grandes grèves de transports de décembre 1995, le cofumage en plein air est un nouveau prétexte tout trouvé pour inviter les Français à se rapprocher les uns des autres. «Vous avez du feu ?» Digne de la méthode syllabique chère à Robien, l'interpellation relève du b.a.-ba de la drague et résonne souvent comme une invitation au plaisir. D'ailleurs, la cigarette descend sur le pavé et vient compléter, aux côtés des couleurs fluo, des jupes audacieuses ou des chapeaux improbables, la panoplie de celles et ceux qui aiment à s'y faire remarquer. Dorénavant, dans la rue, quiconque veut attirer l'attention ou susciter l'étonnement se devra d'arborer aussi une clope au coin du bec. Une bouffée et le tour est joué ! Les regards se posent sur l'effronté érigé en vedette ou en suspect, voire les deux à la fois. Vilipendé, montré du doigt, objet de sarcasmes, le fumeur s'est vécu hier en héros du premier jour d'après. La prohibition du tabac dans les lieux fermés va peut-être réhabiliter la délation, ce sport national tombé en désuétude au fil du temps. Dénoncé par son collègue, le fumeur aura tôt fait de se rêver en résistant exhalant des volutes provocatrices pour faire dérailler le train-train du quotidien. D'autant que les inspecteurs auront beau multiplier les descentes, les fumeurs frondeurs de l'intérieur (FFI) n'auront qu'à se muer en fumeurs fiers de l'extérieur (FFL) pour tenir bon. La cigarette deviendra dès lors instrument d'orgueil retrouvé pour le piéton à bout de filtre. Poussé dehors, celui-ci se découvrira même de nouveaux complices. Depuis hier, les trottoirs se repeuplent, et c'est tout un réseau de fumeux maquisards qui sort de l'ombre. L'époque a les combats qu'elle mérite.