mardi 13 mars 2007

Les lieux de la nuit face au casse-tête des réglementations

Lois sur la protection des mineurs, l'alcool, les nuisances sonores ou le tabac. Les exploitants s'interrogent sur leur capacité à faire appliquer les textes

Le Monde - Article paru dans l'édition du 03.03.07

Les 26, 27 et 28 février, La Maroquinerie, salle de concert parisienne, a dû fermer ses portes sur décision de la préfecture de police. Motif invoqué : « trouble à l'ordre public dû à l'alcoolisation d'un mineur ».

La salle risquait neuf jours de fermeture, le préfet a minoré la sanction. S'il ne remet pas en cause le trouble provoqué par les jeunes gens à la sortie du concert, le directeur des lieux rappelle que la mineure en question avait 17 ans et demi.

En décembre 2006, Le Lavoir moderne parisien était frappé de la même décision, pour une semaine, du 30 décembre au 8 janvier. Cette fois-ci, pour cause de tapage diurne, lors du festival d'été « Nous sommes tous des Africains », qui s'est tenu du 14 juin au 16 septembre 2006, et ouverture illicite d'un débit de boissons. L'établissement possède pourtant une licence de restaurant.

« Récemment, lors du concert d'un de ces jeunes groupes de rock à la mode, le public avait entre 14 et 18 ans, raconte Sarah Schmitt, directrice du Nouveau Casino. Nos serveurs devaient demander la carte d'identité à chaque fois. Nous ne voulions prendre aucun risque. Mais nous sommes de plus en plus souvent confrontés à ce type de problème. »

Alcool, protection des mineurs, sécurité du public, nuisances sonores, les salles de spectacles et discothèques sont soumises depuis toujours à une réglementation stricte en la matière, celle du code de la santé publique. Cette réglementation vient d'être renforcée, depuis le 1er février, par l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics. Certes, les débits permanents de boissons à consommer sur place, casinos, cercles de jeu, débits de tabac, discothèques, hôtels et restaurants bénéficient d'un délai jusqu'au 1er janvier 2008 pour s'adapter à la nouvelle réglementation antitabac. Mais l'inquiétude se ressent chez quelques professionnels qui, sans remettre en cause le bien-fondé de la loi, s'interrogent sur les conséquences de son application.

LE VA-ET-VIENT

« Si les gens sortent fumer une cigarette, je risque désormais d'être attaqué pour tapage nocturne... », fait remarquer Toni Gomez, propriétaire de L'Etoile, restaurant club huppé des Champs-Elysées. Au Rex Club, comme au Nouveau Casino, clubs plus « underground » de la capitale, la décision est prise : en 2008 pas question d'autoriser le va-et-vient.

« Trop compliqué à gérer, trop risqué surtout en termes de sécurité et de lutte contre le trafic de dr ogue », explique Fabrice Gadeau, gérant du Rex Club. On y dansera sans fumer. Si certaines salles de concerts bénéficient en tant que « débit de boissons à consommer sur place » du délai supplémentaire, la plupart se doivent d'appliquer la loi.

Dans les faits, et malgré les déclarations d'intention, le public des concerts « rock » grille allégrement ses cigarettes en dépit de quelques rappels à l'ordre des services de sécurité. L'esprit « contestataire » s'accorde mal avec la nouvelle loi. En cas d'infraction à ces réglementations, tous ces lieux risquent une fermeture administrative pouvant aller jusqu'à six mois, si elle est prononcée par le préfet ; un an, par le ministre de l'intérieur.

« Une décision dramatique pour l'établissement », s'insurge Patrick Malvaës, du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL). Il dénonce depuis des années l'inflation réglementaire qui encadre le secteur de la nuit. Mais plus encore le caractère « précaire » de toute activité nocturne, qui nuit à sa professionnalisation.

« INÉGALITÉ TERRITORIALE »

En effet, après 2 heures du matin, tous les lieux, y compris les discothèques, fonctionnent grâce à une autorisation d'ouverture tardive, accordée, refusée ou retirée par les préfets de chaque département.

Elle peut être exceptionnelle ou permanente, mais doit être régulièrement renouvelée. Une « inégalité territoriale inadmissible », selon le SNDLL. Une adaptation indispensable aux particularités locales, et qui sait faire preuve de souplesse, si nécessaire, répond le ministère.

Pour aider les propriétaires d'établissement dans cette jungle juridique, l'UMIH, syndicat de l'hôtellerie, café et discothèques, a imaginé, en collaboration avec le ministère de l'intérieur, un « permis d'exploitation » de la licence IV (nouvel article L.3332-1-1 du code de la santé publique).

Il devrait, selon le ministère, « permettre aux exploitants de débits de boissons de mieux appréhender les obligations qui leur incombent ». Il sera délivré après une formation.

Un décret d'application vient d'être transmis au Sénat. Le SNDLL y voit, de son côté, une démarche administrative de plus.

Odile de Plas